Soliloques et coups de gueule, un mode d'expression à partager.

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samedi, décembre 6 2014

Les "Opéras-bouffes" improvisés de Christian. Quatrième acte

Vendredi 5 novembre sur le plateau de Valensole. Ciel bas, déchiré par intermittence, averses sournoises, crépitement des bûches dans la cheminée. Vendredi jour du poisson, journée sacrificielle, certes. Le seul sacrifice auquel je vais assister sera l'autopsie délicate d'un magnifique pageot fraîchement pêché en Méditerranée. Comme chacun le sait (?), en cuisine on dit "lever les filets" quand parfois les âmes sensibles préfèrent "mettre les voiles". Moi j'assiste et j'insiste pour assister car le chef supporte mal que l'on soit dans ses pattes. Lever un filet c'est un peu décoller une affiche en passant entre elle et le mur... Sérieusement, c'est bien passer une lame de couteau entre l'arrête centrale et la chair afin d'obtenir une sorte d'escalope en un morceau, et je dis en un morceau parce que justement c'est toute la difficulté. Si le couteau, dont il est inutile de rappeler ici qu'il doit être parfaitement aiguisé, genre rasoir, pénètre latéralement le flanc de votre dorade rose (c'est son nom en Méditerranée), on applique le plat de la main fermement sur la bête et l'on glisse la lame le long de l'arête centrale qui sert de guide durant l'opération. En principe on obtient deux jolis steaks qui seront la base de l'inspiration du moment. Ce jour là, et par pure provocation, Christian décide de préparer un poisson cru, sachant que ma tendre moitié ne peut en avaler une bouchée sans maudire les japonaiseries des quartiers chics de la capitale. Christian ne possède pas la virtuosité spectaculaire des artistes nippons mais sa précision suisse compense largement ce handicap. Ainsi au bout de quelques minutes, sur la table d'opération, reposent quelques fines et délicates lamelles roses prêtent à être troussées. Disposer harmonieusement les lamelles sur une belle assiette, les caresser gentiment avec un voile de wasabi puis les couvrir de pétales de gingembre confit au vinaigre. Il est possible de tenter le tour de moulin à poivre Sansho... (Ça c'est personnel). Garnir de deux quenelles de guacamole épicé, servir aussitôt avec toasts de pain au petit épeautre et un verre de Châteauneuf du Pape blanc... Et bien croyez-moi ou non, ma compagne s'est laissée convaincre, séduite par les arômes, les textures, mais aussi par les trois énormes crevettes sauvages habilement déshabillées par le maître.

Japonaiseries

samedi, novembre 29 2014

Morphologie des lieux. Acte troisième

La cuisine où a opéré notre chef pendant quelques décennies est un mystère pour le cordon bleu qui dispose du dernier modèle de mobilier laqué, plan de travail en granit, et électroménager nucléaire. La cuisine de Christian tient plus de la caverne l'Ali Baba que du vaisseau inoxydable. C'est pourtant là que furent concoctés de succulentes assiettes, servies chaudes et à point dans les délais les plus brefs. Christian doit-il encore une fois à ses origines ce sens aigu (et inné) de l'organisation. Pour ma part j'en ai appris bien plus ici sur l'ergonomie d'une cuisine qu'à travers mes théories lors de mes installations. Quand la place vous manque, quand le service est le maître du temps, et quand vous avez la farouche volonté de continuer à rester indépendant pour garantir une qualité immuable à vos convives, il vous faut faire preuve d'imagination. Prenons un exemple. Certains travaux de découpe nécessitent à la fois un plan de travail mais en même temps, et de préférence à proximité, un point d'eau. Le poisson illustre bien le propos. L'animal est gluant, vous glisse entre les doigts, et son autopsie appelle des rinçages constants. Imaginez donc le plan de travail, amovible (une planche en matériau spécifique), imputrescible évidemment, posé en débordement de l'évier et autorisant une légère pente. Tout ce que vous avez découpé pourra être glissé vers un récipient disposé au fond le l'évier et l'eau sera à porté de main.

Couteaux

Nous avons souvent échangé quelques perfidies entre découpes et pluches (ce dernier mot n'est plus usité mais on aime bien son côté corvée-kaki...). Quelques perfidies à propos notamment de tout l'appareil qui tourne autour de la table. Parlons du service. Le lecteur est très certainement coutumier du fameux et incontournable (ou presque et heureusement!), "Tout va bien Messieurs-Dames ?", et à la réponse (tout aussi et malheureusement!) souvent incontournable: "C'est très bien", voire "C'est parfait", vous serez affublé d'un souriant et obséquieux "Bonne continuation". Entre nous c'est bien fait, fallait pas dire c'est bien si on n'en pense pas un mot. Quand Christian se trouve dans une situation du genre il possède un fabuleux atout: "Sincèrement c'est pas terrible, la salade est moribonde, le poisson "vintage" et le légume approximatif, mais si vous voulez je vais aller en cuisine vous montrer ce qu'il faut faire." D'accord l'anecdote est exceptionnelle mais la "Christian' attitude" se justifie dès lors que le prix affiché vous laisse supposer que seul un chef digne de ce nom a pour le moins supervisé le plat pour lequel il est probable que le rédacteur ait fait appel à un prix littéraire...

De la simplicité que Diable ! Vous me dites et écrivez proprement "Omelette aux truffes de notre région" - oui, parce qu'il y en a qui viennent de loin et même de nul part - moi, ça me suffit. Quant à l'adéquation entre le titre de l'ouvrage et l'assiette, la preuve est vite établie. Tiens justement parlons de l'omelette à "ce que vous voulez", l'omelette, base de "séries" signées et parfois numérotées.

Oui, on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs, jusqu'ici c'est juste. Puis, selon les idées ou les leçons reçues, il suffit de casser un certain nombre d'œufs dans un saladier ou mieux dans un "cul de poule" (tant qu'à faire !) et de battre le tout avec ferveur et application jusqu'à obtention d'un potage homogène. Faux. Pourtant nous n'en sommes qu'à l'omelette, imaginez la suite quand nous aborderons la truffe. L'œuf est délicat, il veut bien supporter le doux mariage d'un blanc et d'un jaune dans une union harmonieuse mais il ne supporte pas le fusionnel, l'amalgame. Il faudra donc procéder au mélange en plongeant une fourchette au plus profond du récipient et en faisant remonter ce matériau avec virilité mais douceur, un peu comme on vérifie le degré de cuisson des spaghettis. En fait, ne pas s'acharner à obtenir un mélange homogène mais plutôt obtenir une association blanc/jaune discernable. Assaisonnez l'appareil, saler, poivrer, muscader, selon les goûts, faire cuire. Dans une poêle prévue à cet effet, pas une anti-adhésive, une bonne poêle en ferraille, c'est à dire en tôle "bleue". Ensuite le corps gras pour éviter que votre omelette ne révèle son profond attachement au métal, huile ? beurre ? attention l'œuf est bon prince, il prend le parfum que vous lui offrez. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, même encoquillé il s'imprégnera du parfum des truffes dans un bocal fermé. Feu vif au départ, rabattre son énergie dès que les bords de l'omelette se coagulent, si tout se passe bien la dite omelette se détache avec facilité hormis les bords qui demandent un petit coup de fourchette. Glisser, plier ou plier glisser, dresser.

A partir de là tout est possible. Rares sont les chefs amateurs ou professionnels qui proposent une carte d'omelettes diverses et variées (sauf peut-être dans les buffets de gare). Rares sont les gastronomes qui d'emblée la plébiscite. Si l'on décline avec plus ou moins de bonheur la galette bretonne, l'omelette ne bénéficie pas du même succès. C'est bien dommage, elle est source de créativité autant que d'économies (à quelques bonnes exceptions près).

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