Ils me demandent: "ça va ?", moi je dis, n'importe quoi pour qu'ils me fichent la paix et pour leur faire plaisir, mais je ne suis pas très sûr que ça aille très bien. Je ne vis que dans ce doute. Et bien, non, je ne me regarde pas le nombril histoire de mesurer mon degré de bonheur, je fais le clown et leurs rires me rassurent et me récompensent. Pour l'instant, ce présent qui n'existe pas, j'ai un fer à repasser dans la main droite et je m'escrime avec un col de chemise que j'aimerai parfait. Parfait, et pourquoi donne-t-on ce nom à ce genre de glace crémeuse à laquelle il est indispensable de donner un parfum ? Oui, c'est bien parce que cet appareil onctueux est insipide et écœurant qu'il faut le doper avec un alcool ou quelques fruits selon l'humeur. Et bien moi, mon bonheur serait d'être parfait, insipide (mais pas écœurant), et de temps à autre et selon l'humeur j'ajouterai un état d'âme, histoire d'être hors de moi-même. Ce matin je suis enroué des cigarettes et de l'alcool de la veille, je suis Artaud, je traîne dans un appartement vide à la recherche d'une potion stimulante. Puis, vers midi, quand le soleil est au zénith, je suis à bord d'un boutre longeant les côtes africaines à la recherche d'une crique hospitalière pour me laisser couler. Plus tard, très tard, au couchant, je serais moi, nu et fragile avec mes doutes et incapable de savoir qui je suis vraiment. Mes rêves sont d'une telle beauté que la réalité aura bien du mal à les égaler. Ces rêves sont entièrement produits par mon imagination, laquelle se nourrit des bribes de la réalité, glanées ici ou là avec gourmandise. Il fut un temps où j'aurai tenté de les exprimer mais désormais ils restent dans l'antichambre de la vieillesse ce lieu des pertes et des oublis. C'est pourquoi cette ombre de sourire qui s'affiche au fond de mes yeux semble vous dire: "je n'en pense pas moins".