Vendredi 5 novembre sur le plateau de Valensole. Ciel bas, déchiré par intermittence, averses sournoises, crépitement des bûches dans la cheminée. Vendredi jour du poisson, journée sacrificielle, certes. Le seul sacrifice auquel je vais assister sera l'autopsie délicate d'un magnifique pageot fraîchement pêché en Méditerranée. Comme chacun le sait (?), en cuisine on dit "lever les filets" quand parfois les âmes sensibles préfèrent "mettre les voiles". Moi j'assiste et j'insiste pour assister car le chef supporte mal que l'on soit dans ses pattes. Lever un filet c'est un peu décoller une affiche en passant entre elle et le mur... Sérieusement, c'est bien passer une lame de couteau entre l'arrête centrale et la chair afin d'obtenir une sorte d'escalope en un morceau, et je dis en un morceau parce que justement c'est toute la difficulté. Si le couteau, dont il est inutile de rappeler ici qu'il doit être parfaitement aiguisé, genre rasoir, pénètre latéralement le flanc de votre dorade rose (c'est son nom en Méditerranée), on applique le plat de la main fermement sur la bête et l'on glisse la lame le long de l'arête centrale qui sert de guide durant l'opération. En principe on obtient deux jolis steaks qui seront la base de l'inspiration du moment. Ce jour là, et par pure provocation, Christian décide de préparer un poisson cru, sachant que ma tendre moitié ne peut en avaler une bouchée sans maudire les japonaiseries des quartiers chics de la capitale. Christian ne possède pas la virtuosité spectaculaire des artistes nippons mais sa précision suisse compense largement ce handicap. Ainsi au bout de quelques minutes, sur la table d'opération, reposent quelques fines et délicates lamelles roses prêtent à être troussées. Disposer harmonieusement les lamelles sur une belle assiette, les caresser gentiment avec un voile de wasabi puis les couvrir de pétales de gingembre confit au vinaigre. Il est possible de tenter le tour de moulin à poivre Sansho... (Ça c'est personnel). Garnir de deux quenelles de guacamole épicé, servir aussitôt avec toasts de pain au petit épeautre et un verre de Châteauneuf du Pape blanc... Et bien croyez-moi ou non, ma compagne s'est laissée convaincre, séduite par les arômes, les textures, mais aussi par les trois énormes crevettes sauvages habilement déshabillées par le maître.

Japonaiseries