J'aimerai pas être un lilas, blanc ou mauve, dans un jardin joyeux ou la courette d'un pavillon de banlieue. Si j'étais ce lilas je ferais le bonheur des peintres et des poètes, des paroliers de chansons, des cinéastes et des Roms qui vous alpaguent sur les marchés parisiens du dimanche. Si j'étais un lilas, comme tous mes semblables je ne tiendrai pas mes promesses. Sitôt envasé sur la table basse du salon, au coin d'une commode, voire sur un piano laqué de noir, je commencerai à mourir d'ennui, à suffoquer dans le parfum des cigarettes blondes et les effluves du gigot dominical. Le lilas est en fleurs du côté de Pâques, ce moment si particulier qui chamboule les nuées, les astres, les meilleurs météorologistes. Si j'étais un lilas je serai du bon ou du mauvais côté du ciel. Je crois que je serai du mauvais côté, balayé par un vent glacé d'avril, trempé de pluie cinglante, alourdi d'une eau imprévisible, grappes courbées sous le poids de la malchance. Bien sûr, entre deux averses, un maigre rayon de soleil me verrait fièrement redressé, un reste d'orgueil avant que de me recroqueviller dans la promesse d'un mois de mai salvateur. Si j'étais un lilas il serait trop tôt ou trop tard et je dilapiderai mon parfum avec générosité et un peu d'amertume. J'aimerai pas être un lilas qui ne ressemble à rien que ce feuillage maculé de grappes sèches, ce citoyen anonyme qui remplit son rôle docile, le nécessaire ornement dont on oubli la taille. La vie est brève pour les lilas qui donnent aux amoureux l'espoir de l'été retrouvé, de l'insouciance et de la désinvolture. Tiens, j'aimerai mieux être un pissenlit !

Lilas