Le bonheur a un son, suffit d'avoir du souffle. Je découvre que j'avais une idée du bonheur comme celle d'un grand, gros et confortable fauteuil dans lequel on s'affale pour de longs moments et peut-être même que l'on ne peut plus en sortir parce que tout simplement l'envie ne vous en vient plus. Je découvre que j'ai souvent confondu bonheur et état passionnel, cet état qui vous transcende et vous transporte à la vitesse de la lumière, hors de vous. L'état qui vous sort de ce quotidien pesant d'une condition évidente et pesante; l'existence stérile. Dès lors commence la course au bonheur où l'on s'essaie à toutes les assises dans les instants passionnels auxquels on veut donner la pérennité en reproduisant les circonstances qui semblent avoir constitué ce bien-être d'exception. Foutaise. L'essence même du bonheur tient à sa fugacité, sa rareté, sa disparition proche. Et cependant il est un une condition qui peut donner accès à une forme rare du bonheur, la liberté. Cette liberté de disposer de soi me procure une sérénité qui s'apparente au bonheur, un passage dans l'existence sans autres obstacles que ceux que je pourrais me créer. Mais cette liberté, si je sais sa réalité et son impérieuse nécessité il me faut la reconquérir car, oui, je l'ai perdue, depuis le commencement, depuis que je fus immergé dans les autres. Il y a les influences. Venin pervers inoculé au goutte à goutte. Ressembler à, prendre des modèles, ambitionner, suivre l'exemple, rejoindre le troupeau, être reconnu. Ah oui, sans reconnaissance qui peut me dire que j'existe, sans miroir où serait mon image. Peur du vide. Le grand marchandage commence tôt, dès l'enfance. Il faut donc être le premier, se mesurer selon cette échelle des valeurs dictées par le système. La suite est connue, le système aussi coercitif soit-il prend les apparences de la juste mesure, il est irréfutable, il est la loi, l'usage, le sacré, le seul référent. Etre libre c'est donc briser son rapport au système, le dénier globalement, traverser son inertie et son écrasante densité par un appétit de soi qui n'est après tout que la revendication d'être. Il ne faut même pas, et surtout pas, composer avec le système, c'est le premier piège qu'il vous tend! Il faut l'ignorer et faire en sorte que ce soit lui qui compose avec vous. Est-ce possible? Rivaliser avec lui tient de l'utopie, de l'aimable rêve d'affranchissement, et pourtant. «Heureux les simples d'esprit car le royaume des cieux leur appartient». N'entendons pas que les simples dont il est question soient de joyeux et doux imbéciles, mais plus qu'ils n'ont que faire de questions existentielles suscitées par leur confrontation avec le système. Cette «folie», de celle dont on dit qu'elle rejoint le génie et réciproquement, n'est que l'effet de la déconnection avec le système. La difficulté réside dans le fait qu'il faut se rejoindre soi-même après des décennies de pollution. Se refaire une virginité consiste d'abord à mourir à soi-même avant de renaître.

Le bonheur a un son, suffit d'avoir du souffle.